Il nous a paru intéressant de réunir en une exposition deux artistes de la même génération vivant aux antipodes, ayant le même type de préoccupation : la matérialisation du temps, le passé, le présent, l'avenir, et l'exprimant pour cette exposition sous une même forme : peintures et dessins.
Naomi Bishop, australienne, est née en 1975 et vit à Melbourne. Shyan Rahimi, d'origine iranienne, est né en 1988 à Los Angeles et vit à LA, New York et Paris.
Naomi Bishop
« Je me souviens avoir lu il y a des années dans un ancien exemplaire de National Geographic sur la spéléologie que “l’exploration d’une caverne, c’est le voyage dans le temps du pauvre”.
A cette époque je travaillais sur des pièces en lien avec l’astronomie et l’exploration spatiale, et j’étais également intriguée par les descriptions historiques que contenait la science fiction. Je trouvais même des images de cavernes dans des vieux livres sur l’espace ou la science fiction, aux côtés de photos de télescopes ou du cosmos.
Je me suis alors intéressée à cette idée : voir les caves souterraines comme une frontière inexplorée.
Ces endroits sombres et mystérieux ont servi de protection contre les éléments, de havres de sûreté à l’abri des prédateurs, et ont été utilisés comme monuments funéraires. Dans le domaine mythologique, les grottes sont secrètes, elles sont des endroits sacrés, des gardiennes de la connaissance et même des portails vers un autre monde ».
… « Quand je suis arrivée au Jour de l’An il n’y avait pas de neige. Un nuage gris, à la fois impénétrable et infini recouvrait le ciel. La forêt était noire. Les gens parlaient d’un Hiver Noir, et s’inquiétaient du manque de neige ainsi que des conséquences que cela pourrait avoir sur la vie sauvage, les forêts et les lacs.
Pendant ces heures sombres qui se prêtaient à une introspection silencieuse, je devins obsédée par le temps, surveillant sans cesse les températures, les nuages, les prévisions de neige et celles d’aurores boréales. Je sortais souvent du lit en pleine nuit et errait dans mon atelier, les yeux rivés
à la fenêtre cherchant dans la sombre nuit des signes de phénomènes célestes.
Peu à peu, le nuage s’estompa et la neige arriva apportant avec elle sa douce lumière d’un autre monde. J’observais et me documentais sur ces changements météorologiques, sur la forêt et le ciel, prenant des photos, dessinant, prévoyant d’en faire des peintures et des sculptures.
Autour des ateliers je trouvai des objets faits de métal, de pierre, de bois et d’os. Leurs formes étaient si particulières, elles m’intriguaient. Je les imaginais et les réinventais comme des objets magiques servant à invoquer l’hiver avec sa neige douce et cristalline et ses lumières arctiques ».
Shyan Rahimi
« La totalité de mon oeuvre repose sur une variété des techniques pour décrire des problèmes contemporains tels que le sexe, la science, la culture, la guerre, la religion, la race, l’identité, la mythologie et le folklore, le futur, le passé et notre raison d’exister. Alors que certaines pièces ont une interprétation subjective, beaucoup d’entre elles posent des questions auxquelles on ne peut pas répondre, tout au moins pour l’instant.
Quand on considère le temps comme préoccupation majeure, on atteint la prochaine étape : tout change sans cesse, rien ne reste immobile.
Je travaille principalement sur de grandes toiles composées d’huile, accompagnées de quelques mélanges non orthodoxes de différentes matières qui jouent symboliquement à l’intérieur même de la peinture aussi bien que dans les travaux de sculptures, les études et les illustrations ».
… « La série The book of beards débute comme une série d’autoportraits aux différentes étapes de la pousse de ma barbe. A chaque millimètre supplémentaire, un passant me jetait des regards de plus en plus insistants, alors qu’il ne suffisait que d’une seconde à un proche pour rougir. Au fur et à mesure que la série progressait, le processus devint le contour flou de ce qui se cachait derrière la barbe, de ce qu’elle symbolisait, et combien une personne comme moi pouvait devenir mystérieuse et étrangère aux yeux des autres.
Ce que la barbe symbolise devint une enquête permanente, construite sur ces portraits. La barbe m’aveuglait par cette capacité qu’elle avait à matérialiser le temps. C’était une manière de revenir en arrière, et que ce reflet du passé soit sublime ou effrayant, il s’incluait dans un contexte temporel et me poussait à l’interroger. Qui est cette personne et combien de temps ont-ils vécu cette
vie ? L’homme mystérieux, le plus mature, le sage, le sauvage, l’étranger, le viril, l’abandonné, tous étaient des identités que les autres voyaient en moi, aussi bien que moi, devant mon propre reflet. Cela révélait un sens profond de cet aveuglement dont j’étais victime, pas seulement face à un voile duveteux mais en ce qui concernait ma propre vulnérabilité et la curiosité que j’avais de la perception des autres. Ces portraits tentent d’englober tous ces visages qui reflètent ou non la réalité. Les séries font face à quelques unes de ces peurs alors que d’autres pièces choisissent de les ignorer, certaines tentent même de les oublier.
Que l’on choisisse de les ignorer ou de s’arrêter pour les contempler, ce choix définit ce que nous sommes, peut être pour un instant, peut être plus ».
Vue de l'exposition Silent worlds